Interview

Jamel Gamra : « Voici quelques moyens par lesquels un maire peut développer sa localité par le tourisme »

Répondant à nos questions, Jamel Gamra,  ancien ministre tunisien du tourisme, directeur chargé des pays de la Méditerranée et du Moyen Orient au Centre mondial d’excellence des destinations (CED), affiliation de l’Organisation mondiale du tourisme, Montréal, Canada, pose son regard sur le développement du tourisme en Afrique en évoquant les enjeux de l’investissement vert dans le secteur du tourisme , les difficultés et opportunités en Afrique , ainsi que le rôle majeur des maires dans le développement local par le tourisme ..
lire l’interview en intégralité! Par Jean Solaire Kuete.

Jean solaire Kuete : La journée internationale du tourisme a interpellé les acteurs sur la nécessité des investissements verts . Comment comprendre cette nouvelle orientation de l’OMT.

Jamel Gamra : L’orientation de l’OMT vers les investissements verts s’inscrit dans une prise de conscience croissante de l’importance de développer le tourisme de manière durable et responsable.
Cette nouvelle orientation met l’accent sur l’adoption de pratiques respectueuses de l’environnement et la promotion de l’écotourisme.

Les investissements verts visent à minimiser l’impact environnemental du tourisme tout en stimulant la croissance économique.

Ils englobent des initiatives telles que :
– la transition vers des modes de transport plus propres,
– la conservation de la biodiversité,
– la gestion efficace des déchets et la promotion de l’utilisation d’énergies renouvelables.

Cette approche vise à assurer que le tourisme bénéficie aux communautés locales tout en préservant les ressources naturelles pour les générations futures. Elle découle également des conclusions de la COP 15 de décembre dernier sur la biodiversité.

JSK : Comment l’Afrique est-elle concernée par cette problématique: investissement vert dans le secteur du tourisme?

Jamel Gamra : L’Afrique est profondément impactée par les enjeux liés aux investissements verts dans le secteur touristique. Cette situation engendre des défis et offre également des opportunités considérables.

Les défis comprennent les problèmes environnementaux tels que la déforestation, la désertification, la perte de biodiversité, le changement climatique et la rareté de l’eau, qui peuvent directement affecter les ressources naturelles qui attirent les touristes.

Cependant, l’Afrique possède une richesse naturelle exceptionnelle, une diversité de paysages, une faune et une flore uniques, ainsi que des cultures vivantes. Cela constitue un potentiel énorme pour le développement du tourisme durable axé sur la nature et la culture.

En outre, le tourisme est un moteur économique important pour de nombreux pays africains, générant des emplois et des revenus. Il reçoit moins que 5% du flux mondial des touristes à travers le monde. Les investissements verts dans ce secteur peuvent contribuer à son développement et la pérennité de ces emplois, à la formation de la main-d’œuvre locale et à l’amélioration des compétences.

Le tourisme peut également jouer un rôle crucial dans la conservation de la biodiversité en finançant la protection des parcs nationaux, des réserves naturelles et des écosystèmes. Les initiatives vertes visent à équilibrer le tourisme et la préservation.

De plus, les investissements verts encouragent la préservation et la promotion de la culture locale, permettant aux communautés locales de bénéficier économiquement du tourisme tout en préservant leurs traditions.

Toutefois, il se bien savoir que l’Afrique est confrontée à des enjeux environnementaux et économiques dans le secteur du tourisme, mais elle dispose d’un énorme potentiel pour développer un tourisme durable grâce à des investissements verts. Les initiatives visant à équilibrer la conservation environnementale avec le développement économique dans ce secteur sont essentielles pour l’avenir de la région.

JSk : l’investissement vert est-il rentable pour les opérateurs ?

Jamel Gamra : Oui, l’investissement vert peut être rentable pour les opérateurs touristiques, mais cela dépend de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les coûts initiaux associés à la mise en place de pratiques et d’infrastructures respectueuses de l’environnement peuvent être assez élevés. Cependant, à long terme, ces investissements peuvent générer des avantages économiques significatifs.
Voici quelques raisons pour lesquelles l’investissement vert peut être rentable pour les opérateurs touristiques :

– Attraction des clients : Les voyageurs sont de plus en plus sensibles aux questions environnementales et recherchent des destinations et des hébergements respectueux de l’environnement. Les opérateurs verts peuvent attirer une clientèle soucieuse de l’écologie, ce qui peut se traduire par une augmentation de la demande.

– Réduction des coûts à long terme : Les pratiques écologiques, telles que l’efficacité énergétique, la gestion des déchets et l’utilisation d’énergies renouvelables, peuvent réduire les coûts opérationnels à long terme, ce qui peut améliorer la rentabilité.

– Avantages fiscaux et subventions : Dans de nombreuses régions, les entreprises qui investissent dans des initiatives vertes peuvent bénéficier d’avantages fiscaux, de subventions et d’incitations gouvernementales.

– Gestion durable des ressources : La gestion responsable des ressources naturelles, comme la préservation des écosystèmes, peut contribuer à prévenir les perturbations environnementales coûteuses, telles que les catastrophes naturelles.

– Image de marque améliorée : Les entreprises qui adoptent des pratiques durables bénéficient souvent d’une meilleure réputation et d’une image de marque renforcée, ce qui peut se traduire par une fidélisation accrue de la clientèle.

Cependant, il est important de noter que les avantages économiques de l’investissement vert peuvent varier en fonction de la région, du type d’entreprise et de la manière dont les initiatives écologiques sont mises en œuvre. De plus, la rentabilité à court terme peut parfois être un défi, mais les avantages à long terme sur le plan financier et environnemental sont souvent significatifs pour les opérateurs touristiques engagés dans la durabilité.

JSK : Parlons de tourisme en général. Il est reconnu comme un secteur porteur, moteur du développement local. Mais qu’est ce qui explique que la majorité des gouvernements de pays africains n’en fasse pas une priorité?

Jamel Gamra : La question de pourquoi la majorité des gouvernements de pays africains ne font pas du tourisme une priorité malgré son potentiel en tant que secteur porteur peut s’expliquer par les facteurs suivants :
– Priorités concurrentes : De nombreux pays africains sont confrontés à de multiples défis, notamment la lutte contre la pauvreté, la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation et les infrastructures de base. Ces priorités concurrentes peuvent prendre le pas sur le développement du tourisme.

– Manque de ressources : Le développement du tourisme peut nécessiter d’importants investissements en infrastructures, en promotion, en formation, et en gestion des ressources naturelles. Les gouvernements qui manquent de ressources financières et humaines peuvent avoir du mal à allouer des fonds suffisants au secteur touristique.

– Stabilité politique : La stabilité politique est essentielle pour attirer les touristes, mais de nombreux pays africains ont connu des périodes d’instabilité politique, ce qui peut dissuader les investissements dans le tourisme.

– Sensibilisation limitée : Certains gouvernements ne réalisent peut-être pas pleinement le potentiel économique du tourisme ou ne sont pas suffisamment sensibilisés aux avantages qu’il peut apporter en termes de création d’emplois, de génération de devises étrangères et de développement local.

– Infrastructure insuffisante : Dans de nombreux pays africains, l’infrastructure touristique, telle que les routes, les aéroports, les hébergements de qualité, et les services de santé, peut être insuffisante pour attirer et accueillir un grand nombre de touristes.

– Saisonnalité : Certains pays africains dépendent fortement du tourisme saisonnier, ce qui peut entraîner une instabilité économique et des difficultés à maintenir des emplois et des revenus stables tout au long de l’année.

Il est important de noter que la promotion du tourisme et son développement durable sont des stratégies viables pour de nombreux pays africains, mais cela nécessite une planification à long terme, des investissements ciblés, la stabilité politique, et la collaboration avec le secteur privé et les parties prenantes locales.

JSK : Au lendemain de la COVID 19 , peut-on dire que l’échiquier des destinations a été bouleversé?

Jamel Gamra : oui, au lendemain de la COVID-19, on peut affirmer que l’échiquier des destinations touristiques a été profondément bouleversé. La pandémie de COVID-19 a eu un impact majeur sur l’industrie du tourisme à l’échelle mondiale, et de nombreuses destinations ont été touchées de manière significative. Voici quelques-uns des principaux bouleversements causés par la pandémie :
– Changements dans les préférences des voyageurs : La pandémie a modifié les préférences des voyageurs, avec une demande accrue pour des destinations moins densément peuplées, axées sur la nature, et offrant des activités de plein air. Les voyages vers les grandes villes et les lieux très fréquentés ont été moins populaires.

– Restrictions de voyage : De nombreuses destinations ont mis en place des restrictions de voyage, telles que la fermeture des frontières, les quarantaines obligatoires et les exigences de tests, ce qui a perturbé les flux touristiques internationaux.

– Effondrement de l’industrie touristique : De nombreuses entreprises liées au tourisme, notamment les hôtels, les restaurants, les compagnies aériennes, et les agences de voyage, ont subi des pertes financières considérables et certaines ont fait faillite.

– Nouvelles priorités en matière de sécurité sanitaire : Les voyageurs sont devenus plus sensibles aux questions de sécurité sanitaire, et les destinations ont dû mettre en place des protocoles de santé stricts pour rassurer les visiteurs.

– Promotion de destinations locales : La pandémie a encouragé la promotion du tourisme local, car de nombreux voyageurs ont opté pour des escapades proches de chez eux plutôt que des voyages internationaux.

– Réévaluation des modèles de durabilité : Certains pays ont utilisé la période de ralentissement du tourisme pour réfléchir à des modèles de tourisme plus durables et responsables.

En somme, la COVID-19 a eu un impact majeur sur l’industrie du tourisme, redessinant l’échiquier des destinations et forçant les acteurs du secteur à s’adapter à une nouvelle réalité. La reprise du tourisme après la pandémie continue d’évoluer, avec des changements significatifs dans la manière dont les destinations sont perçues et gérées.

JSK : Avec la décentralisation poussée dans certain pays, les élus locaux , comme les maires sont en première ligne du développement de leurs municipalités . Peut ont s’appuyer sur le tourisme pour développer les communes ? Comment un maire peut-il développer sa localité par le tourisme?

Jamel Gamra : Les élus locaux, notamment les maires, jouent en effet un rôle crucial dans le développement de leurs municipalités, et le tourisme peut être un levier majeur de développement économique et social. Voici quelques moyens par lesquels un maire peut développer sa localité par le tourisme :

a. Promotion des atouts locaux : Le maire peut travailler à identifier et à promouvoir les atouts uniques de sa municipalité, tels que le patrimoine culturel, les sites naturels, les festivals locaux, et les activités de plein air. La création d’une identité touristique distincte peut attirer les visiteurs.

b. Amélioration des infrastructures touristiques : Investir dans les infrastructures touristiques telles que les sentiers, les parcs, les aires de loisirs, et les aires de stationnement peut améliorer l’expérience des visiteurs et les inciter à rester plus longtemps.

c. Soutien aux entreprises locales : Encourager le développement d’entreprises touristiques locales, telles que les restaurants, les hébergements, les agences de voyage, et les artisans, en offrant des incitations et en facilitant les démarches administratives.

d. Événements et festivals : Organiser des événements, des festivals et des manifestations culturelles peut attirer un public diversifié et stimuler l’économie locale.

f. Formation et sensibilisation : Sensibiliser les acteurs locaux aux avantages économiques du tourisme et offrir une formation pour améliorer les services touristiques peut renforcer la qualité de l’accueil.

g. Partenariats régionaux : Collaborer avec d’autres municipalités ou régions voisines pour développer des itinéraires touristiques régionaux peut augmenter le flux de visiteurs.

h. Promotion en ligne : Utiliser les médias sociaux et les plateformes en ligne pour promouvoir la municipalité et atteindre un public plus large.

i. Durabilité et préservation : Veiller à ce que le développement touristique soit durable en protégeant l’environnement naturel, le patrimoine culturel et en favorisant la préservation.

j. Consultation publique : Impliquer la communauté locale dans le processus décisionnel en organisant des consultations publiques pour recueillir des idées et des suggestions.

k. Diversification : Encourager la diversification des activités touristiques pour attirer différents types de visiteurs, tels que le tourisme d’aventure, le tourisme culturel, le tourisme culinaire, etc.

Le développement du tourisme local est un maillon essentiel dans le développement du tourisme du Pays. Sa réussite dépend d’une planification soignée, d’une vision à long terme, et de la collaboration avec les parties prenantes locales. Les maires et les élus locaux peuvent jouer un rôle central en créant un environnement favorable au tourisme et en utilisant cet atout pour stimuler le développement économique de leur municipalité.

JSK : l’actualité en Afrique est marqué par les coup d’états ici et là , ainsi que les manifestations populaires anti-français grandement relayées par la presse nationale et internationale.. Quels pourraient être les conséquences dans l’industrie africaine du tourisme ?

Jamel Gamra : Les coups d’État et les manifestations populaires antifrançaises en Afrique peuvent avoir des conséquences significatives sur l’industrie africaine du tourisme. En effet, elles peuvent engendrer : la réduction du flux touristique, l’annulations de voyages, la mauvaise réputation. La baisse des investissements : L’incertitude politique peut décourager les investissements étrangers dans l’industrie du tourisme etc…
Cependant, les conséquences des événements politiques dépendent de leur gravité, de leur durée et de la gestion par les autorités locales. La stabilité politique est essentielle à la croissance du tourisme en Afrique, tandis que les troubles politiques posent des défis. Cependant, cela ne doit pas freiner la réflexion sur de nouvelles stratégies économiques radicales, qui peuvent être bénéfiques pour les pays.

JSK : les maires du Cameroun se préparent pour une mission d’Apprentissage sur le tourisme et le développement local au Québec – canada ou vous résidez , parlez nous de la région de Mégantic qui accueillera l’événement.. Quel sont ses atouts et en quoi cette localité peut être un model intéressant pour l’Afrique !

Jamel Gamra : La région de Mégantic, située dans la province du Québec, au Canada, est une région qui offre de nombreux atouts en matière de tourisme et de développement local. Voici quelques-uns de ses points forts et en quoi cette localité peut servir de modèle intéressant pour l’Afrique :

1. Paysages naturels spectaculaires : La région de Mégantic est réputée pour ses paysages naturels magnifiques, notamment le parc national du Mont-Mégantic. Cette région offre des possibilités de randonnée, d’observation de la faune, d’astronomie, et de sports de plein air, ce qui en fait une destination prisée des amoureux de la nature.

2. Patrimoine culturel : Mégantic possède un riche patrimoine culturel, avec des villages pittoresques, des musées locaux et une histoire fascinante à découvrir. Le tourisme culturel peut contribuer de manière significative au développement économique local.

3. Développement durable : Mégantic met en avant des pratiques de développement durable, notamment en matière de conservation de la biodiversité, de gestion responsable des ressources naturelles, et de promotion du tourisme écologique. Ces pratiques peuvent servir d’exemple pour d’autres régions souhaitant adopter un tourisme durable.

4. Implication communautaire : La région de Mégantic a réussi à mobiliser la communauté locale pour soutenir le développement touristique. Les initiatives de collaboration entre le secteur privé, les autorités locales et la population sont un modèle de partenariat pour la promotion du tourisme.

5. Gestion de la croissance touristique : Mégantic a géré efficacement la croissance touristique tout en préservant son environnement naturel. Les régions africaines peuvent tirer des leçons de la manière dont Mégantic a équilibré le développement touristique avec la protection de ses ressources.

6. Événements et festivals : La région organise régulièrement des événements et des festivals qui attirent les visiteurs. Ces initiatives contribuent à dynamiser l’économie locale.

7. Infrastructures touristiques de qualité : Mégantic dispose d’infrastructures touristiques bien entretenues, notamment des hébergements, des restaurants et des activités pour les visiteurs.

La région de Mégantic au Québec, Canada, offre un modèle intéressant de développement touristique et de développement local axé sur la durabilité, la conservation de l’environnement et l’implication communautaire. Les maires du Cameroun peuvent s’inspirer de cette réussite pour promouvoir le tourisme responsable et le développement économique dans leurs propres municipalités en Afrique. Ca sera une occasion d’apprentissage et de transfert de connaissances générées par des chercheurs et des applications faites sur le terrain.

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