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GENERAL DOMINIQUE TRINQUAND : « IL FAUT QUE L’AFRIQUE TROUVE ELLE-MÊME SES MARQUES »

L’ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU et spécialiste des relations internationales pose son regard sur les récents coups d’États au Niger et au Gabon, ainsi que sur  les relations tendues entre la France et ses anciennes colonies  et la montée du sentiment anti-français en Afrique. Lire l’interview menée par Jean Solaire KUETE.

Jean Solaire Kuete : Général Dominique Trinquand, Bonjour et merci de nous accorder cette interview depuis Paris ?

Dominique Trinquand : Bonjour Jean Solaire KUETE et merci pour l’invitation.

JSK : Vous suivez l’actualité africaine et française de très près. Au lendemain de la prise du pouvoir par le général Abdourahamane Tchiani au Niger, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans la capitale nigérienne pour réclamer le départ de l’armée française. Quelle lecture faites-vous de ces événements ?

Dominique Trinquand : Ces manifestations qui ont lieu à Niamey attirent deux remarques. La première c’est une grande mobilisation plus que les jours précédents et que ces manifestations ont eu lieu à Niamey qui est quand même le fief de l’opposition au président Bazoum et donc il y a une mobilisation engagée par la junte, pour rassembler les gens sur le mot d’ordre du départ de la France. Voilà, ça ne veut pas dire que sur la population des 25 millions des nigériens, des 2 millions et demi d’habitants de Niamey, les milliers de manifestants rassemblés représentent l’ensemble de la population. Mais certainement, nous sommes dans un bras de fer entre d’une part la junte, et la France qui sert de bouc émissaire facile dans la crise actuelle dirigée par la junte.

JSK : Depuis le coup d’État du 26 juillet qui a renversé le président Bazoum démocratiquement élue, la France dans un ton dur demande le retour à l’ordre constitutionnel et soutien l’option militaire prônée par la CEDEAO à cet effet. Comment comprendre la prise de position radicale de la France face à ce coup d’État?

Dominique Trinquand : la position de la France ne fait que refléter en fait la position de la communauté internationale. Il faut rappeler qu’il y a une déclaration d’un conseil de sécurité avec la Russie incluse, qui demandait le retour à l’ordre constitutionnel, l’Union Africaine a fait de même, la CEDEAO a fait de même. Alors, la France ne fait qu’appliquer cette position. Simplement, évidemment la France en tant qu’ancien pays colonisateur et mis en exergue par la junte pour rassembler les manifestants, en jouant sur le sentiment anti-français, qui existe dans des zones urbaines, auprès d’une intelligentsia en particulier, qui est en difficulté économique, mais la France n’a que la position de l’ensemble de la communauté internationale simplement. Il est plus facile, je le répète encore de la marquer comme bouc émissaire pour essayer de stigmatiser et de rassembler autour de la junte.

JSK: Si la France a retiré ses soldats du Mali et du Burkina dans les contextes similaires marqués par le changement de régime, qu’est ce qui explique cette résistance au Niger où sont stationnés quelques 1500 soldats, dont la présence coûte cher à la France?

Dominique Trinquand : alors, vous comparez la situation de forces françaises au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Je pense que la comparaison n’a pas lieu être. Je rappelle qu’au Mali et au Burkina Faso, il y a des présidents qui ont été renversés certes qui ont démissionné, alors qu’au Niger le président Bazoum n’a toujours pas démissionné, ça c’est le premier point. Le 2e point c’est que les forces qui étaient au Niger ont été mise en place à la demande du président Bazoum, qui s’était assuré du soutien de l’Assemblée nationale donc qu’il y avait un soutien de l’Etat globalement, qui a demandé aux forces françaises d’accompagner les forces du Niger pour lutter contre les djihadistes et c’est pour ça qu’aujourd’hui la France ne reconnaît pas une demande qui est formulée par un gouvernement qui n’est pas reconnu légalement par personne dans la communauté internationale sauf bien sûr le Mali et le Burkina Faso. Mais, pour les autres il n’est pas reconnu et donc alors que la demande d’assistance de l’armée française au Niger était effectué par un gouvernement officiellement reconnu et légalement élu. Voilà pourquoi la position de la France est différente au Niger, du Mali et du Burkina Faso.

 

JSK: Quelle appréciation faites-vous de l’attitude du président Macron face à la déchirure diplomatique entre la France et ses anciens alliés du Sahel, Mali Burkina et aujourd’hui le Niger?

Dominique Trinquand : la position du président Macron dans cette crise reflète deux aspects. D’abord la fermeté, la légalité, et veut rester dans le domaine des principes, donc on verrait comment cela évolue. Le deuxième point c’est un intérêt aussi pour notre pays la France tout simplement. Je rappelle que les djihadistes qui ont été arrêtés en 2013 à la demande du Mali, par les forces françaises qui ont ensuite transformé ça en opération barkhane sur l’ensemble de la zone étaient là pour empêcher qu’un Khalifa ne s’installe dans cette zone. Aujourd’hui, on voit que l’absence des forces françaises au Mali en particulier, a conduit à une extension de l’action des djihadistes qui sont en train d’encercler Tombouctou par exemple et depuis les crises au Burkina Faso et au Niger, on a une augmentation des actions terroristes et donc l’intérêt de la France était bien sûr de rester allié aux pays de la région pour lutter contre les djihadistes et apporter leur contribution d’où la position du président qui était à la fois une position légale constitutionnelle mais aussi une position dans l’intérêt de la défense contre les djihadistes parce que l’installation d’un Khalifa au sein je rappelle c’est une menace ultérieure, probablement sur le golfe de Guinée et pourquoi pas une menace en direction de l’Europe.

JSK: Les autorités militaires nigériennes et désormais les populations trouvent inefficace et inutile la présence militaire sur le sol nigérien . Quelle est votre appréciation de la mission militaire française au Sahel en général et au Niger en particulier?

Dominique Trinquand : je pense que mon appréciation sur ce qui se passe au Niger en particulier est une lutte contre les djihadistes. Je me réfère à ce que disait le chef de l’armée nigérienne il n’y a pas longtemps, qui se félicitait du recul des djihadistes et de l’action conjointe de l’armée du Niger bien sûr, mais aussi de l’aide apportée par les forces françaises et, soulignons également par les Américains. Donc je pense que ce qui est exprimé aujourd’hui n’a rien à voir avec la réalité sur le terrain. Ça à voir avec l’antagonisme artificiellement monté entre la junte et les français. Quant à la population, je pense que là vous parlez de la population de Niamey qui n’a jamais vraiment été menacé par les djihadistes. Si vous allez sur le terrain, en particulier dans la zone des trois Frontières, vous verrez que les populations sont beaucoup plus laudatives sur l’action conjointe des forces du Niger et de l’armée française. Je voudrais souligner l’excellente coopération qu’il y a eu entre ces deux armées. Les nigériens sont bien sûr en tête au combat, mais l’aide que leur apporte l’armée française leur permettait d’avoir les moyens dont ils ne peuvent pas disposer aujourd’hui. Donc je crois que l’appréciation que vous donnez aujourd’hui est fausse et ne correspond même pas à l’appréciation que l’armée nigérienne faisait il y a encore deux mois avant le coup d’État.

JSK: Un nouveau coup d’État vient de se produire au Gabon. Le général Brice Odigui NGUEMA auteur du Coup vient de prêter serment devant la cour constitutionnelle. Avec des militaires à la tête des anciennes colonies de la France, doit-on craindre pour les intérêts français ?

Dominique Tinquand : Alors vous citez le coup d’État qui vient d’avoir lieu au Gabon, comme vous l’avez vu, ceci n’a strictement rien à voir c’est une affaire de famille, avec des élections qui ont été contestées, mais qui étaient déjà contestées la dernière fois et donc un pouvoir temporaire s’est mis en place et celui-ci a demandé à continuer la coopération avec la France en particulier et avec les institutions internationales. Il faut rappeler qu’au Gabon, il y a un déploiement d’à peu près 400 hommes qui sera ramené à 200 dans les mois qui viennent et ceci a lieu depuis 1960, ce qui n’est pas du tout le cas au Niger, puisqu’au Niger c’est une base opérationnelle qui a été déployée pour faire action contre les djihadistes, au Gabon il n’y a pas de menace djihadiste. Donc le rapport que vous citez entre la France et ses anciennes colonies, pour moi ce n’est pas ça le sujet. Le sujet c’est le rapport entre l’Afrique et la démocratie. Les coups d’État au Mali, Guinée Conakry, Burkina Faso, Gabon montrent qu’il y a un problème de démocratie en Afrique, ce n’est pas à moi de juger le rapport des élections menées, qui ont été menées au Gabon et qu’on considère qu’elles ont été falsifiées et l’union européenne même l’a souligné, il n’y avait pas d’observateurs. Des élections qui avaient eu lieu au Niger il y a deux ans, avaient eu beaucoup d’observateurs qui avaient validé ces élections et puis au Mali, au Burkina Faso il y a eu une succession de coup d’État qui ont succédé, qui ont contesté des présidents élus suivant des normes qui ne m’appartient pas de souligner. Donc je pense que le rapport ce n’est pas la France et l’Afrique, la France-Afrique n’existe pas depuis longtemps et je pense que c’est un rapport entre l’Afrique et la démocratie et c’est aux africains de se décider sur ce sujet-là.

JSK: Est-ce que ce n’est pas le paternalisme et le néocolonialisme reprochés à la France qui sont sanctionnés à travers le renversement de ces régimes africains ?

Dominique Trinquand : écoutez le paternalisme et le néocolonialisme français donc vous parlez n’est ressenti qu’en Afrique. En France je vous garantis que les 3/4 des français n’ont qu’un seul sentiment, s’ils veulent se débrouiller ils se débrouillent, je crois que c’est à juste titre. En France nous avons un rapport avec l’Afrique essentiellement par les Diasporas présentent en France. Donc les français d’origine africaine et c’est ce rapport qui existe. Il y a très peu de français qui s’intéressent à l’Afrique et le président Macron, a bien voulu marquer dès le début, qu’il n’y avait pas ce rapport de néocolonialisme. La meilleure preuve c’est que, il allait plutôt voir les pays anglophones et lorsqu’il a réuni, comme à Montpellier les africains, c’était à part des Diasporas et la jeunesse africaine qui n’ont pas de rapport avec les États africains. Je pense qu’il y a effectivement un problème de perception, il est probable qu’en France nous avons un sentiment différent d’eux par exemple puisque vous citez la France, les pays anglo-saxons j’en ai beaucoup travaillé dans les pays anglo-saxons et je vais vous dire, les pays africains anglo-saxons disent toujours aux pays d’Afrique francophone qu’elle chance vous avez d’avoir un pays originellement colonialiste qui s’intéresse à vos pays. Les anglo-saxons se foutent complètement des pays africains. Donc je pense qu’il faut effectivement redresser la barre, faire comprendre que la France Afrique n’existe plus, que les pays africains depuis 60 ans sont indépendants, ils décident d’eux-mêmes et que la France dans cette affaire-là n’est que là pour aider. Pour le signaler simplement sur le Niger, si des européens se sont intéressés au Niger, c’est parce que la France a réussi à amener l’Union Européenne, l’Allemagne et d’autres pays à s’intéresser au Niger et à donner les fonds considérable pour aider le Niger, qui malheureusement aujourd’hui n’a même plus de quoi payer ses fonctionnaires.

JSK: Voyez-vous une main russe derrière la montée du sentiment anti-français dans les anciennes colonies françaises ?

Dominique Trinquand : Alors la main Russe grand sujet. Il est certain que pour le président Poutine qui mène une guerre difficile en Ukraine, dans laquelle il s’est tant misé, sur un sujet éminemment contestable par la terre entière. La déstabilisation des pays occidentaux et donc singulièrement de la France est un sujet majeur. En prenant chronologiquement, il réussit en République centrafricaine, il réussit au Mali en faisant relais avec une milice, Wagner hier et peut-être une autre demain, qui est payé par les pays africains. Donc si vous voulez, il y a quand même une disproportion, ce sont les pays africains qui payent les mercenaires quo sont dans leur pays, pour défendre leur gouvernement en Centrafrique, pour défendre les putschistes au Mali, il n’y a pas de lutte contre les djihadistes par Wagner, ça n’existe pas, c’est le premier point. Au Burkina Faso il y a des discussions, on n’en sait rien. Au Niger, je pense que ça n’a rien à voir et ça ne veut pas dire que la Russie n’essayera pas d’infiltrer et essaye déjà, on le voit par des drapeaux russes qui sont agités et d’agiter contre la France. Oui la Russie est présente, elle cherche à s’infiltrer parce qu’elle a intérêt à déstabiliser les pays occidentaux et les déstabiliser en Afrique est aussi un objectif à atteindre. Le seul problème c’est que l’aide est minimale. Je le répète ce sont les gouvernements qui payent ces milices et ces milices ont une action assez restreinte contre les menaces principales qui est là menace djihadiste, en particulier au Mali.

JSK: S’il y avait quelque chose à faire pour sauver la France-Afrique, que conseillerez-vous à la France?

Dominique Trinquand : je crois que ce n’est pas du tout l’objet, il n’y a pas à sauver la France-Afrique. L’Afrique a besoin de la France, de l’Europe. La France a besoin de l’Afrique. L’Afrique est un continent avec lequel nous avons une longue histoire commun. Une langue commune très importante, une partie de l’Afrique parle français et ensuite un destin commun, parce que la population de l’Afrique ne cesse d’augmenter, alors que la population européenne ne cesse de diminuer. Donc il y a un destin commun, ce n’est pas la France- Afrique qu’il faut sauver, il faut que l’Afrique trouve elle-même ses marques. J’en parlait à propos de la démocratie, il faut qu’elle fasse ce qu’elle a à faire, et que l’Europe aide au développement de ce continent, qui a vocation à être j’allais dire un jardin dans lequel, les européens doivent trouver leur place et non lutter.

JSK: Après le coup d’Etat au Gabon, certains analystes français cite le Cameroun comme un potentiel suivant. Croyez-vous que le Cameroun réuni les conditions pour une prise du pouvoir par l’armée ?

Dominique Trinquand : alors écoutez,  vous me dites après Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger, Gabon à qui le tour? Est-ce que d’une certaine façon le Cameroun serait le prochain cas d’un putsch. Écoutez je ne le souhaite pas, les transitions militaires ne sont jamais une bonne solution. Les transitions militaires sont une bonne transition. Maintenant il est vrai qu’au Cameroun il y a un régime en place depuis très très longtemps, il va falloir voir comment la succession s’organise. Est-ce que l’armée doit y participer ? Oui je rappelle que le Cameroun a une place importante dans la lutte contre Boko Haram, avec le Tchad, le Nigeria et le Niger d’ailleurs, mais aussi intervient en Centrafrique dans la mission de l’ONU, donc l’armée camerounaise a un rôle important, elle doit contribuer à la transition au Cameroun lorsque le président Biya cédera sa place et c’est une organisation interne au Cameroun que je souhaite la plus pacifique possible.

JSK : Merci d’avoir accepté notre invitation

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