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SOMMET PANCANADIEN DES COMMUNAUTES NOIRES : MICHAELLE JEAN VEUT FEDERER LES EFFORTS DES AFRODESCENDANTS.

En prélude au quatrième Sommet pancanadien des communautés noires qui débute le 31 janvier prochain à Montréal, l'ancienne gouverneure générale du Canada et ancienne secrétaire générale de la Francophonie renforce la réflexion sur le racisme systémique et les défis existentiels des communautés afrodescendantes au Canada. La présidente de la Fondation Michaëlle Jean s'exprime sur le sujet dans une interview accordée à echoduterritoire.com

« Il est fini le temps des « deux solitudes » qui a trop longtemps défini notre approche de ce pays. L’étroitesse du « chacun pour soi » n’a plus sa place dans le monde actuel qui exige que nous apprenions à voir au-delà de nos blessures et de nos différends pour le bien de l’ensemble. Bien au contraire, nous devons briser le spectre de toutes les solitudes et instaurer un pacte de solidarité entre tous les citoyens qui composent le Canada d’aujourd’hui. Il y va de notre prospérité et de notre rayonnement partout où l’espoir que nous représentons apporte au monde un supplément d’âme. » Ainsi parle Michaëlle Jean devant le Sénat lors de sa prise officielle de fonction en qualité de gouverneure générale du Canada le 27 septembre 2005. Issue de la communauté afro descendante du Canada, Michaëlle Jean est une femme d’État, diplomate, animatrice de télévision et journaliste canadienne. Elle est la vingt-septième gouverneure générale du Canada, la troisième femme à occuper ce poste après Jeanne Sauvé et Adrienne Clarkson. Polyglotte, Michaëlle Jean parle cinq langues : français, anglais, espagnol, italien et le créole haïtien.Elle est également la première femme nommée secrétaire générale de la Francophonie en novembre 2014, et la cofondatrice de la fondation qui porte son nom. Aujourd’hui, Michaëlle Jean est principale conférencière du sommet pancanadien des communautés noires dont la quatrième édition se prépare à Montréal. Elle met un point d’honneur à fédérer les efforts des Noirs de partout au Canada, afin d’obtenir de meilleurs résultats pour la communauté dans son ensemble. Le Sommet pancanadien des communautés noires, qui se tiendra du 31 janvier au 2 février 2025 au Palais des congrès de Montréal, est un événement majeur qui vise à promouvoir la reconnaissance, la justice et le développement des communautés noires au Canada . La Fondation Michaëlle Jean, cherche à renforcer la participation des jeunes et à favoriser l’inclusion et la diversité.

L’ENTREVUE

Jean Solaire KUETE : Michaëlle Jean, bonjour. Vous êtes l’ancienne gouverneure générale du Canada, l’ancienne secrétaire générale de la Francophonie et la présidente de la fondation qui porte votre nom. Merci de nous recevoir dans vos locaux en plein cœur d’Ottawa et d’accepter cette interview en prélude à la célébration du Mois de l’histoire des Noirs. À cette occasion, votre fondation organise le Sommet pancanadien des communautés noires.

Michaëlle Jean : Alors, je suis coprésidente et cofondatrice de la Fondation Michaëlle Jean, qui est mon héritage et que je partage également avec mon mari, Jean-Daniel Lafond, qui est cinéaste, philosophe et écrivain. L’idée de cette fondation et sa vision viennent du fait que nous avons observé que les communautés les plus marginalisées au Canada sont les communautés autochtones et les communautés noires.

Jean Solaire KUETE : Et comment caractérisez-vous cette marginalisation?

Michaëlle Jean : Ces communautés sont les plus appauvries, les plus accablées par le racisme, les moins représentées là où les décisions se prennent ; souvent ghettoïsées en ce qui concerne les peuples autochtones par la Loi sur les Indiens, et la pauvreté réelle. J’ai constaté la même chose chez les communautés noires. Pourquoi ? Parce que l’héritage lourd du colonialisme. Donc, les populations noires et autochtones sont les peuples conquis en quelque sorte par le colonialisme. Dépossédées de leurs territoires, de leurs mémoires et de leur humanité. Parce que l’esclavage. Car l’esclavage et la colonisation étaient soumis au principe de la suprématie blanche et, par conséquent, la déshumanisation de tous ceux qui n’appartenaient pas à cette race de conquérants et de colonisateurs. Donc, on n’en sort pas aisément. Il s’agit là de siècles de domination coloniale, et forcément, on ne peut pas penser ni expliquer le racisme et la marginalisation grave de ces peuples sans se référer à ce passé et à cette histoire.

Jean Solaire KUETE : Et c’est ce passé douloureux qui motive la création du Sommet pancanadien des communautés noires?

Michaëlle Jean : En grande partie, oui ! En effet, la Fondation Michaëlle Jean a toujours travaillé sur ces questions d’exclusion, et beaucoup plus avec les jeunes et leurs communautés. Et l’idée a toujours été de sensibiliser l’ensemble de la population canadienne sur ce déficit que cause l’exclusion : un déficit de participation, de perspective, d’idée, d’énergie, de synergie, de justice et, par conséquent, de développement et de démocratie.

Jean Solaire KUETE : Et quels sont les objectifs que vous vous fixez pour cette édition 2025 du Sommet pancanadien des communautés noires?

Michaëlle Jean : Les objectifs, c’est de maintenir la ligne directrice du manifeste. Ce qui est intéressant dans ce manifeste d’Halifax, c’est qu’il est construit comme un document de référence bien ordonné sur l’état des lieux que nous avons fait de l’origine du racisme, avec une partie de propositions. On épluche tous les secteurs d’activité où le racisme systémique est bien présent et nous afflige. On dit ce qu’il faut changer et comment cela doit être changé. Et nous mettons en avant nos expertises et les actions que nous portons.

Jean Solaire KUETE : Et qu’est-ce qui est prévu comme activités pendant ce Sommet pancanadien des communautés noires?

Michaëlle Jean : Nous commencerons par un forum porté par les jeunes. C’est-à-dire que le vendredi 31 est consacré à ces jeunes entrepreneurs, créateurs, porteurs d’initiatives de résistance face au racisme, qui vont se prononcer de leurs propres voix sur l’emploi, l’entreprenariat, la justice, la santé. Ce sera suivi de l’ouverture officielle du sommet où les jeunes vont rendre compte de ce qui est ressorti de leurs discussions. La deuxième journée sera le lieu des ateliers où l’on reviendra renforcer la réflexion sur tous les aspects du racisme systémique, avec le plan stratégique des actions communes. Parce que ce mouvement représente les objectifs collectifs des communautés. Ce n’est pas Michaëlle Jean qui porte ce leadership, c’est nous tous, c’est-à-dire la somme des actions et des organisations que nous représentons. Bien sûr, la fondation offre cette plateforme et rend possible cette mise en commun, trouve les moyens pour le faire. Mais ce leadership est collectif, et c’est très important qu’on le comprenne ainsi. On a cherché les moyens pour nous diviser. On a été aussi isolé chacun de son côté, faisant de notre mieux possible. Certains sont devenus favorisés par rapport à d’autres.

Jean Solaire KUETE : Depuis que le Sommet panafricain des communautés noires a été lancé, avez-vous des résultats satisfaisants ?

Michaëlle Jean : Oui, bien sûr ! Il ne faut pas croire que, lorsque le gouvernement fédéral annonce soudainement des programmes pour accompagner ou aider financièrement les entrepreneurs noirs ou un programme pour les jeunes, que ce soit de la bienveillance. Que non ! Sans cette pression que nous exerçons, rien de tout cela ne serait arrivé. Les gouvernements ne se seraient pas bousculés. Si vous êtes isolé et que, quelque part, on continue d’avoir la main sur vous, rien ne change. Ce qui motive le changement, c’est bien la force que nous avons constituée. Et ce n’est qu’un début. Je vois ce qui se passe chez le voisin américain. Ils ont balayé tout ce qui est équité, diversité, inclusion. Et on dit qu’ils sont allés trop loin. Mais nous sommes au premier balbutiement. Pourquoi devient-il obsolète aujourd’hui de parler d’équité ? Parce que les iniquités existent. Pourquoi est-il obsolète aujourd’hui de parler de diversité et de ce que représente la diversité, c’est-à-dire ses apports essentiels que nous représentons et que l’exclusion met à l’écart ? Parce que, avec le déficit que crée l’exclusion, c’est le bien commun qui en souffre. C’est finalement ne pas laisser la porte ouverte à tout ce que nous avons à offrir. Autrement, il y a un déficit de possibilités et de perspectives, et en plus, l’inclusion est un droit fondamental. L’exclusion est son contraire. Parce qu’on tient compte de la considération de qui nous sommes, nos valeurs, nos talents, nos apports, nos énergies…

A suivre !

Jean Solaire KUETE

Journaliste, consultant en communication et marketing du territoire

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