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Tribune : La création de l’argent par les

Par Louis Even

Vous et le banquier
Si vous, qui n’êtes pas banquier, avez 100 dollars, vous pouvez prêter à un autre ou à plusieurs autres un montant total de 100 dollars, mais pas plus. Et le 100 dollars que vous prêtez, vous ne l’avez plus.

Le banquier, lui, peut prêter mille dollars pour chaque 100 dollars qu’il a en caisse, tout en y gardant ce 100 dollars. C’est en cela que consiste son privilège. Il va prêter, disons, 100 dollars à Pierre, 100 dollars à André, 100 dollars à Jacques, 100 dollars à Jean, et ainsi de suite à dix personnes: cela fera dix fois le 100 dollars, sans pour cela y toucher. Et c’est sur dix fois 100 dollars qu’il demandera intérêt.

Si c’est vous qui avez déposé ce 100 dollars à la banque, vous pourrez en obtenir du banquier, au taux de 3 1/2 pour cent, 3.50 dollars d’intérêt dans un an.
Mais le banquier, lui, va prêter à 6 pour cent, et il va prêter dix fois votre montant en même temps, obtenant ainsi 60 dollars d’intérêt en un an.

Vous voyez la différence. C’est vous qui avez gagné ce 100 dollars par votre travail, et ça vous rapporte 3.50 dollars par an. Le banquier, lui, n’a pas gagné ce 100 dollars; mais le trafic de crédit qu’il a créé sur le 100 dollars lui rapporte 60 dollars par an. (Cet article a été écrit en 1960. On sait que, depuis, les intérêts ont monté en flèche, allant jusqu’à 25% et même 28% au profit des banquiers.)
Le méritant, c’est vous; le profiteur, c’est lui. Ce qui n’empêchera pas des moralistes de vous prêcher de gagner votre pain à la sueur de votre front, et le banquier de vous prêcher l’épargne, ajoutant que sa banque est là pour en prendre soin.

Le banquier récolte pour lui ,un bien, de civilisation: la confiance que les citoyens se font les uns aux autres dans leurs relations commerciales, sans se soucier de la forme ou de la nature de l’instrument monétaire utilisé dans ces relations. De même, en effet, qu’on a d’abord appris graduellement à faire confiance à la monnaie de papier autant qu’aux pièces d’or ou d’argent, de même on a appris depuis à faire confiance au chèque, à la, monnaie de compte, (aujourd’hui électronique) autant qu’à l’argent de métal ou de papier.

L’emprunteur qui a obtenu un simple crédit de chiffres à la banque va pouvoir effectuer ses paiements en signant des chèques (ou en se servant de sa carte de crédit) sur le montant de ce crédit. Celui qui obtient le chèque peut le déposer à la banque; et dans ce cas, très commun dans le commerce, il n’y aura qu’un virement de comptes dans le livre du banquier: diminution dans le compte du signataire augmentation dans le compte du bénéficiaire qui dépose le chèque. Simple opération d’arithmétique, ne déplaçant pas un sou de métal ou de papier.

Si celui qui reçoit le chèque veut le changer en argent palpable, comme il arrive, par exemple, pour des salariés, il va à la banque; et là, le banquier sort réellement du numéraire (argent de papier ou de métal) pour le montant du chèque. Mais ça ne prend pas bien des jours, que l’argent revient à la banque, déposé par des marchands ou des propriétaires que les salariés ont payés. Le même argent peut ainsi servir pour plusieurs chèques successifs.
Dans l’ensemble, la banque n’a pas besoin de plus d’un dollar de numéraire pour soutenir ainsi dix dollars d’argent scriptural. C’est pourquoi le banquier n’a pas à craindre tant que ses créations de crédit ne dépassent pas 10 à 12 fois ses réserves liquides. (Aujourd’hui, la loi permet aux banquiers de créer des crédits sans limite sur ses réserves)
Il n’y a pas du tout de mal à ce que les citoyens fassent ainsi confiance à l’argent de chèques. Pas du tout de mal, non plus, à ce qu’il suffise d’opérations d’écriture pour créer de l’argent, de l’argent purement scriptural, servant aussi bien que l’autre dans les transactions commerciales. C’est même un gros progrès sur l’argent lié à l’or: cette comptabilité permet, en effet, si on le veut, de régler le volume d’argent, non pas d’après la quantité d’or qu’on peut sortir des mines, mais d’après les biens que la production du pays peut offrir et que les consommateurs désirent.
Le défaut n’est pas dans le mécanisme, mais dans le détournement de la fin que le mécanisme devrait servir.

Le mal n’est pas que l’argent puisse être créé d’un trait de plume. Le mal est que l’argent ainsi créé soit considéré par le banquier comme sa propriété, alors qu’en réalité ce devrait être l’argent de la société, réglé selon les besoins de la société en face des possibilités du pays.

Les banquiers nient puis admettent

Cette création de crédit-argent par les banquiers ne date pas d’hier. Le major Douglas, fondateur de l’école créditiste, a écrit:
« Les banques, ou le Trésor, peuvent créer l’argent en cinq minutes, et elles l’ont fait depuis des siècles. »

Mais ce mécanisme n’avait point été exposé ni expliqué au public. Et lorsque Douglas commença à le dévoiler dans ses écrits, ce fut une levée de boucliers: du haut en bas de l’échelle, les banquiers nièrent leur rôle de créateurs d’argent. Les banques, soutenaient-ils, ne prêtent que l’argent de leurs déposants. Devant l’évidence, cependant, ils ont dû admettre. Les quelques petits banquiers qui continuent à dire que les banques ne créent pas d’argent, sont des retardataires.

A partir de son édition de 1910, l’Encyclopedia Britannica, qui fait autorité, écrit en toutes lettres: Les banques créent les moyens de paiement. »

Le 22 mars 1933, dans une émission radiophonique sur le réseau d’État anglais, R. G. Hawtrey, assistant-secrétaire du Trésor Britannique alla jusqu’à dire:
« De plus, je suis d’accord avec lui (le Major Douglas) sur le fait que les banques créent l’argent et que les dépressions commerciales proviennent de défauts du système bancaire dans l’exercice de cette fonction vitale. »
Le même Hawtrey, dans un écrit intitulé « La dépression commerciale et le moyen d’en sortir », s’exprime ainsi:
« Quand une banque prête, elle crée l’argent de rien. »
Et dans son livre: « L’art de la Banque Centrale »:
« Lorsqu’une banque prête, elle crée le crédit. Mais les autres prêteurs n’ont pas ce pouvoir mystique de créer de rien les moyens de paiement: tout ce qu’ils peuvent prêter, eux, c’est de l’argent acquis par leurs activités économiques. »

Reginald McKenna, alors chairman de la Midland Bank, la plus grosse banque commerciale d’Angleterre, et ancien Chancelier de l’Echiquier (ministre des Finances en Angleterre), disait à une assemblée des actionnaires de la banque:

« Le montant de l’argent en existence ne varie que selon l’action des banques par l’augmentation ou la diminution de ce qu’elles inscrivent sous forme de dépôts. Nous savons comment cela se fait. Chaque prêt bancaire et chaque achat de valeurs par la banque crée un dépôt; chaque remboursement d’un prêt et chaque vente de valeurs par la banque détruit un dépôt. »

En une autre occasion, le même McKenna est allé jusqu’à décrire l’immense pouvoir que cette création de crédit confère aux banquiers:
« Les banques, dit-il, contrôlent le crédit de la nation, dirigent la politique des gouvernements et tiennent les destinées du peuple dans le creux de leurs mains. »
Ce sont presque les mêmes expressions que Pie XI a employées dans Quadragesimo Anno pour dénoncer cette domination financière despotique sur la vie économique des nations et des individus.

Eccles, alors qu’il était à la tête du Système bancaire américain (la Federal Reserve Bank Board), ne fut pas moins clair:
« Les banques, dit-il, créent et détruisent l’argent. Le crédit bancaire est de l’argent. C’est avec cet argent qu’on fait la plupart des affaires, non pas avec le numéraire auquel le mot «argent» fait ordinairement penser. »

Chez nous, au Canada, Graham Towers, répondant à des questions posées au Comité de la Banqué et du Commerce de la Chambre des Communes, en 1939, fut très catégorique.
Question: « Mais il n’y a pas de doute que les banques créent le moyen d’échange ? »
Réponse de Towers: « C’est exact. C’est
pour cela qu’elles existent — c’est une fonction des banques, tout comme c’est la fonction d’une aciérie de fabriquer de l’acier. »

Devant, une commission royale néozélandaise sur le système monétaire, en 1955, H.W. Whyte, chairman des Banques Associées de Nouvelle-Zélande, répondant à des questions, déclara que les banques créent du crédit financier nouveau lorsqu’elles font des prêts ou des avances. Il ajouta: « Il y a longtemps qu’elles font cela, mais elles ne s’en étaient pas bien rendu compte, et elles ne voulaient pas l’admettre. Très peu l’admettaient. C’est ce que vous constaterez dans toutes sortes de documents, de manuels de finance, etc. Mais depuis, et nous devons être très francs à ce sujet, il y a eu évolution, si bien qu’aujourd’hui, je doute que vous trouviez beaucoup de banquiers éminents essayant de nier que les banques créent le crédit. Je vous ai dit qu’elles le font. M. Ashwin (Secrétaire du Trésor) vous a dit qu’elles le font; M. Fussell (Gouverneur de la Banque de Réserve, banque centrale) vous a dit qu’elles le font. »

Le point essentiel

Point n’est besoin de prolonger ces citations, puisque le fait de la création de l’argent par les banques est maintenant admis.
Mais il faut bien que l’argent nouveau commence quelque part; et le point capital à considérer, ce n’est pas qui exerce cette fonction, mais le but poursuivi dans l’exercice de cette fonction, une fonction sociale dans son essence.
Le Major Douglas a écrit:
« Le premier pas à faire vers la solution du problème, c’est de reconnaître que ce qui est communément appelé crédit par le banquier est administré par lui primordiale-ment dans un but de profit, alors que c’est indéniablement un bien communautaire. »
(Economic Democracy, p. 119.)
Le banquier s’approprie un bien commun; il vole la communauté, comme nous l’avons écrit dans notre article sur « le banquier moderne ».

La viciation du système financier a causé et cause encore trop de mal pour que nous ne revenions pas fréquemment sur ce sujet.

Louis Even
Qu’on ne prenne pas ces critiques comme dirigées contre nos employés de banques; pas même contre les gérants. Ils ne sont que des travailleurs comme vous et moi, desquels on exige une exactitude parfaite, une humilité intègre, une bonne « mise », une courtoisie inaltérable, et une soumission absolue. C’est le système qui est défectueux.

Jean Solaire KUETE

Journaliste, consultant en communication et marketing du territoire

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